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Ecrivaine occitane, semeuse de graines de folie. Etre écrivain, c'est combattre, c'est dire, dénoncer, tous les jours, à chaque instant, jusqu'au dernier souffle. C'est aussi écrire pour vous faire évader. Quitter les sentiers battus et partir vers d'autres horizons.

Trous noirs à l'abbaye Saint Félix de Monceau suite 2

églises wisigothiques dessins de l'auteure
églises wisigothiques dessins de l'auteure

églises wisigothiques dessins de l'auteure

Chapitre II

 

 

Voir ce qui est juste et ne pas le faire est un manque de courage.

Confucius

 

1

 

Paul se gare assez loin de l’abbaye pour ne pas attirer l’attention au cas où quelqu’un rôderait dans les ruines. Il sort son matériel, verrouille les portières et écoute la nuit. Son corps massif ne passe pas inaperçu. Les pierres des collines on l’air de trembler sous ses pas. Il n’est pas bien grand, un mètre soixante quinze tout au plus, un peu bedonnant, mais il est taillé comme un athlète avec des bras aux muscles puissants dus à des années de pratique de canoë-kayak et de travaux sur les chantiers. Un visage plutôt sympathique, poupon, avec un nez rond dont Mélodie se moque toujours. Ce n’est pas de lui que sa fille Morgane tient son corps élancé et la blondeur de ses cheveux.

Aucun bruit à part le cri d’une chouette chevêche dans les pins. Un instant déstabilisée par cette présence insolite et dérangeante, elle se tait, puis reprend son miaulement plaintif. Une autre lui répond. Un petit vent secoue les branches et quelques nuages jouent avec la lune. Parfois, celle-ci disparaît et l’ombre assombrit le bois. Puis, les nuages se retirent, on y voit comme en plein jour. Les étoiles brillent comme autant de petites lucioles. Finalement, Paul se dit que c’est mieux ainsi, sa torche aurait pu faire enfuir les prédateurs. Pour le moment, les seuls prédateurs de cette nuit rocambolesque, sont les vautours, réintroduits dans le département depuis quelques années, et les buses. Il a décidé de rejoindre l’abbaye en grimpant la colline à travers les broussailles. Cela fait un moment qu’il n’a pas fait de sport. La fatigue d’une journée de travail alliée à une soirée d’angoisse lui ôte toutes ses forces. Sans compter les cigarettes. Il souffle, s’épuise, se repose souvent et peste contre lui-même et son impuissance. Puis, le papa de Mélodie, le héros de ses filles, reprend le dessus sur le désespoir. Il se demande comment il va faire pour retrouver la petite fille et réalise l’inutilité de sa démarche. Combien de pentes comme celle-ci va-t-il devoir explorer ? Si les gendarmes ne l’ont pas fait en pleine nuit, c’est qu’ils ont jugé l’expédition nocturne inutile. Les recherches reprendront à l’aube. Il appelle sa fille, écoute l’écho de sa voix. Les oiseaux endormis, effrayés, s’envolent en criant. Les broussailles s’agitent, un renard s’enfuit devant lui. L’abbaye est habitée la nuit par des hôtes inoffensifs. Il ne va parvenir qu’à affoler toute la faune de la garrigue. Arrivé à l’abbaye, il s’arrête et s’assoit sur un rocher. Où est Mélodie en ce moment ? Entre quelles mains ? Si elle est seule et blessée, quelle est l’étendue de sa blessure ? Il imagine tout et surtout le pire. Cette bâtisse, massive et sombre, donnerait en pleine nuit des cauchemars au plus courageux des marcheurs. Les nuages jouent entre les ouvertures qu’on imagine autrefois couvertes de vitraux. L’histoire avec un grand H n’intéresse pas vraiment Paul, mais quand même, il ne peut pas ne pas être impressionné par la majesté du lieu. Dire que des femmes ont vécu là dans des conditions qu’il ne souhaiterait pour rien au monde à ses enfants. Comment pouvait-on laisser partir sa petite fille pour un lieu aussi inhospitalier sachant qu’on ne la reverrait probablement jamais ? Il médite sur la vie au Moyen-Age, le poids de la religion qui amenait des parents à de telles extrémités. Puis, ses pensées reviennent à Mélodie. Il s’apprête à crier une dernière fois son nom, lorsque, venue du chemin en contrebas, une voix féminine hurle : Mélodie !

 

2

 

- Mélodie ! Mélodie !

Léa s’époumone en vain. Après plus d’une heure de marche dans la nuit, ils ont enfin atteint l’abbaye. Laurie s’est tordu la cheville, Albin peste contre cette idée ridicule de vouloir retrouver Mélodie à tout prix en pleine nuit, et d’être entré dans leur délire. Il aurait mieux fait d’avertir ses parents ! Mais il voulait faire le beau devant sa sœur et surtout devant Léa. Pas malin de sa part. Il fait beaucoup trop noir, malgré la pleine lune, pour faire des recherches et sa lampe torche a rendu l’âme. La cheville de Laurie l’empêche de marcher. Si jamais ils avaient à courir, elle ne pourrait pas les suivre. Léa continue à hurler. Mélodie ! Mélodie !

Tapi dans les fourrés, Paul reconnaît la voix de la jeune fille. Il n’ose se montrer de peur de les effrayer. Pourtant, les trois ados entendent du bruit près de l’abbatiale.

- Il y a des sangliers, dit Laurie affolée. S’ils nous troussent, je ne pourrai pas m’enfuir.

- Je te porterai, lui répond son frère. Mais ce ne sont pas des sangliers. Hello ! Il y a quelqu’un ?

- Oui, c’est Monsieur Libat. N’ayez pas peur.

- Zut alors ! Le père de Morgane, chuchote Léa reprenant espoir. Il a eu la même idée que nous.

Paul sort de l’ombre, se retrouve face à face avec Albin.

- Vous n’auriez pas dû les entraîner ici, dit-il sévèrement. On ne sait pas ce qui s’y passe.

- J’ai quelque chose à vous montrer, répond Léa, coupant court aux remontrances en sortant de sa poche l’objet trouvé dans les fourrés.

A la lumière de la lampe-torche de Paul, l’objet brille d’un gris d’acier fluorescent.

- Où avez-vous trouvé ça ?

- Ce sont les deux jeunes qui l’ont perdu. Ceux qui ont disparu comme par enchantement.

- On ne disparaît pas par enchantement, s’énerve Paul. Il doit y avoir une entrée souterraine. Je ne vois pas d’autre possibilité.

- Les archéologues ont tout fouillé ici. Ils n’ont rien trouvé.

- C’est peut-être confidentiel ? Un truc de l’armée ? propose Laurie en poussant un cri de douleur…

Paul s’inquiète.

- Que se passe-t-il ?

- Je me suis foulé la cheville, je ne peux pas marcher.

- il faut redescendre tout de suite. Je te conduis aux urgences.

- Non, pas tout de suite. S’il vous plaît ! Nous sommes venus ici pour retrouver Mélodie. Je peux attendre une heure de plus.

Paul réfléchit. Etant le seul adulte, il est responsable à présent de « mise en danger de mineurs !» s’il ne ramène pas immédiatement les trois jeunes à Gigean, bien qu’Albin ait dix-huit ans passés.

- Il faut rentrer. La police fera son travail demain.

- Non, je ne rentrerai pas, disent en chœur Léa, Laurie et Albin.

- Il faut d’abord retrouver le buisson, je suis sûre qu’on va trouver des indices soutient Léa. Cette « chose »  a communiqué avec moi. Ce n’est pas pour rien.

- Et nous devons visiter l’intérieur de l’abbatiale. C’est là qu’a disparu Mélodie, rajoute Laurie que la douleur fait grimacer.

Paul sait bien qu’il ne pourra pas les convaincre de rentrer tant qu’ils n’auront pas fait ce pour quoi ils sont venus. Têtus comme des mules, ces trois là. Mais au moins, ça lui réchauffe le cœur de savoir que Mélodie n’est pas abandonnée.

- Je vous accorde une demi-heure. Ensuite je vous reconduis chez vous.

Les fouilles près du buisson demeurent infructueuses. Pas un trou, pas une cavité, rien. Ils élargissent le périmètre de leurs recherches. Inutile. Paul est bien obligé de se rendre à l’évidence. Les deux jeunes gens ont disparu sans laisser de trace, comme Mélodie. Dans l’abbatiale, l’obscurité est plus épaisse. La lune n’éclaire pas l’intérieur.

- Faites attention de ne pas tomber, dit Paul inquiet. Nous ne trouverons jamais Mélodie ici.

Le silence demeure, épais, oppressant. Puis, quelques bruits insolites se frayent un passage dans l’espace auditif. Des bruits de crépitement de braise, un miaulements de chat.

- Attention ! S’il y a des chats sauvages, c’est dangereux. Ces bêtes-là sont impitoyables. Les chasseurs n’hésitent pas à les éradiquer. Ils peuvent nous sauter aux yeux sans que nous les voyions arriver.

- Ce n’est pas un chat sauvage, dit Albin. Peut-être un chat abandonné. 

- Taisez-vous ! Ecoutez !

Laurie a froid et commence à avoir peur. Elle sait qu’elle sera incapable de courir s’il faut se sauver.

- Il y a quelqu’un ici.

Effectivement, les miaulements du chat sont accompagnés de bruits étonnants. 

- On se croirait dans une cuisine, fait remarquer Léa. Ça sent les épices.

- Retournons à la voiture. Filons d’ici.

Paul se rend compte qu’ils auraient dû partir depuis longtemps. Ils ne trouveront pas Mélodie dans ce fouillis de cailloux et de plantes. Il s’est passé un drame, ici, cet après-midi, il ignore quoi, mais il est incontestable que cela recommence. Ils aperçoivent des lumières de bougies.

- Allons-nous-en ! Filez vers la voiture. Laurie, accroche-toi à moi.

Pris de panique, ils se mettent à courir. Trop tard. Laurie s’écroule la première, emportée dans un tourbillon de poussière comme si une mini tornade s’était engouffrée dans l’abbaye. Paul tente de la retenir, en vain. Léa et Albin, accrochés l’un à l’autre, sont emportés à leur tour. Leurs hurlements doivent s’entendre jusqu’au village. Mais, même les oiseaux de nuit qui auraient dû s’enfuir, demeurent paisibles, comme s’il ne se passait rien. Sur la colline de la Gardiole, la faune dort tranquille. Chacun vaque à ses occupations. Un hibou traque un mulot imprudent, quelques insectes bravent la nuit à la recherche de nourriture. Dans les nids, les couples dorlotent leurs petits et profitent de ces instants de tranquillité pour faire le plein d’énergie. C’est que ça mange beaucoup ces bébés-là ! Toujours le bec ouvert. Il n’y a que la nuit pendant laquelle les parents peuvent dormir tranquilles. Les hurlements ne les ont pas dérangés car aucun humain n’a hurlé cette nuit-là, à cette heure-là,  sur la Gardiole.

 

3

 

Huit heures du matin. Morgane appelle son père sans succès. Son téléphone se met tout de suite sur messagerie. Il aurait pu penser à le recharger étant donné les évènements ! Cette négligence-là étonne la jeune fille. Sa mère attend dans l’entrée. Accablée de douleur, elle est affalée sur une chaise, attitude qui n’est pas sans rapport avec la quantité de médicaments qu’on lui a administrée. Elle s’apprête à appeler un taxi lorsque son portable sonne. Hélas, ce n’est pas son père.

- Morgane ? C’est le père de Léa. Elle est avec toi ?

- Mais non, s’indigne la jeune fille. Vous croyez que je me balade en garrigue ? Je suis à l’hôpital avec maman. J’y ai passé la nuit. Elle a dû partir de bonne heure avec Laurie. Moi j’appelle mon père et il ne répond pas. Je ne sais pas ce qui se passe.

- Attendez-nous. Je vais chercher ton père, dit Georges envahi par une vague angoisse.

Morgane raccroche. La situation lui échappe totalement. Pourquoi ses amies ne l’avaient-elles pas attendue pour retourner sur les collines ? Et si Léa avait trouvé un élément trop important, trop urgent pour laisser passer la nuit ? Peut-être a-t-elle essayé de l’appeler ? Son téléphone était resté coupé toute la nuit. Cependant, aucun message n’a été laissé, pas même un SMS. Ses deux amies n’ont pas tenté de la joindre, pas plus que son père.

Le téléphone sonne. Ce coup-ci, c’est la mère de Laurie complètement hystérique.

- Morgane, mes enfants sont avec toi ?

- Pas du tout ! crie-t-elle excédée. Je suis à l’hôpital avec maman.

- Ils ont disparu tous les deux ! continue Madame Bastide sans même demander des nouvelles de sa mère ni de Mélodie. En pleine nuit !

- Léa aussi, lui dit Morgane. Son père vient d’appeler.

Morgane ne voit pas ce qu’Albin, le frère de Laurie, vient faire dans cette disparition. Disparition étant un bien grand mot. Morgane a la certitude qu’ils sont tous partis à l’abbaye et qu’il n’y a pas de quoi s’affoler. Même chose pour son père. Peut-être a-t-il laissé un mot à la maison ? Elle en saura plus avec le père de Léa. Sur ces entrefaites, une infirmière l’appelle car sa mère recommence une crise de nerf. Elle se précipite dans l’hôpital, trouve sa maman en pleurs.

- Je te croyais disparue toi-aussi ! sanglote-t-elle.

- Mais enfin, maman, j’étais dehors. J’essayais de joindre papa. Il ne répond pas.

Le regard de sa mère lui fend le cœur. Toute la détresse du monde s’affiche dans ses yeux, comme si sa mère n’avait plus aucun espoir. Elle la prend dans ses bras et sanglote en la serrant très fort. Il lui semble tenir un roseau entre ses bras. Grande et mince comme elle, sa mère a tellement maigri avec ses dépressions successives que la fragilité de son corps donne une impression pathétique.

- On va la retrouver, maman, je te le jure.

Des promesses auxquelles Morgane ne croit pas. Toute la nuit elle s’est remémoré le film de leur escapade. Cela s’est passé si vite ! Pas plus de dix minutes entre le moment où elles se sont assises pour fumer et celui où la petite a disparu. Elles auraient dû l’entendre crier. A moins qu’on ne lui ait mis un bâillon rempli de chloroforme pour l’endormir. Alors, si c’est le cas, quelqu’un les attendait. Quelqu’un qui était au courant de leur rendez-vous. Les seuls sachant qu’elles avaient un devoir à faire sur l’abbaye : les élèves de sa classe. Mais qui serait assez malade pour venir s’attaquer à sa sœur ? Elle ne voit pas. Evidement, chacun a pu en parler chez lui, à ses parents, un copain ; une personne étrangère peut avoir entendu. Cela fait des dizaines et des dizaines de personnes.

Tandis que, plongée dans ses pensées, Morgane caresse les cheveux de sa mère, celle-ci s’est calmée. 

- Morgane ? Ma chérie, excuse-moi, je suis en dessous de tout. C’est moi qui devrais te consoler, pas l’inverse. Et ton père ? Où est ton père ?

- Je ne sais pas maman, il est probablement allé chercher Mélodie. Ne t’inquiète pas. Il va nous la ramener. Attends, j’ai un SMS sur mon portable. « Votre père est introuvable, je préviens la gendarmerie. G.Vallon ».

- Les gendarmes sont à l’abbaye, ment-elle à sa mère. Papa doit être avec eux. J’appelle un taxi.

 

4

 

De ce fait, le jour se lève à peine lorsque les gendarmes reprennent les recherches. Ils n’ont pas lésiné sur les moyens employés. Un hélicoptère sillonne les collines rasant la végétation plus malmenée par les hélices de l’engin que par le Mistral ou la Tramontane. Pourtant, sur cette hauteur du massif de la Gardiole, les vents changent souvent de direction, parfois en l’espace de quelques minutes, comme si un énorme ventilateur soufflait en permanence. Un drone a également été lancé pour inspecter les coins inaccessibles par l’hélico. Une équipe de spéléologues des pompiers de Frontignan s’est mise à la recherche d’anfractuosités non repérées à ce jour. Les aboiements d’une meute de chiens font taire la faune locale. Munie d’un haut-parleur, le commandant de la gendarmerie de Montpellier a pris lui-même les choses en main. Une nuée de journalistes s’est appropriée l’espace. Le commandant Raymond Estève se serait bien passé de cette invasion médiatique, mais il préfère coopérer avec eux. Il va falloir lancer un avis national de disparition, mais pour cela, il a besoin de la famille et personne ne répond aux numéros de téléphone qu’on lui a communiqués. Silence radio. Il enrage. C’est bien la première fois que les parents ne sont pas venus le harceler. A présent, il a besoin d’eux et le préfet attend leur accord pour lancer un avis de disparition sur tout le territoire.

Il est près de dix heures lorsque des cris lui parviennent du cordon de sécurité délimitant l’espace interdit aux badauds.

- Mon commandant, crache une voix dans son téléphone, c’est la famille, je ne comprends rien à leur histoire.

- Ce n’est pas trop tôt ! Faites-les venir.

De loin, il voit la jeune Morgane, la sœur de la gamine disparue, peut-être aussi sa mère, et d’autres personnes. Mais le père n’est pas là. Pourtant, il l’a vu la veille, après la perquisition de la chambre de l’enfant. Il va falloir qu’on lui  donne des explications sérieuses, sinon, il met tout le monde en examen.

- Ce n’est pas dommage ! dit-il d’une voix coléreuse. Je vous attends depuis deux heures ! Vous vous en fichez de savoir ce qu’il est advenu de votre enfant ?

- Mon père n’est pas là ? hurle Morgane. On a retrouvé ma sœur ?

- Ni l’un ni l’autre. Pourquoi pensiez-vous que votre père pourrait être ici ?

- Il n’est pas à la maison.

- Ma fille a disparu ! s’énerve Georges Vallon. Elle doit être ici, non ? Avec le père de Mélodie.

- Mes deux enfants aussi, rajoute le père de Laurie et d’Albin.

Le commandant Estève sent ses certitudes chavirer. Il pensait avoir affaire à des parents indignes, mais ce sont trois familles complètement affolées qui lui crient leur désespoir. Un adulte et quatre mineurs disparus comme par enchantement. Bizarre. Et si le père de Mélodie était le maillon de cette chaîne de disparitions ? S’il en était l’instigateur ? Raymond Estève a déjà vu tellement d’horreurs dans sa vie professionnelle que cette éventualité ne l’étonnerait pas plus que ça : pères et mères éplorés infanticides, enfants otages de leur famille, meurtres, tortures, abus sexuels sur mineurs à charge. Et dans cette affaire ? Mère consentante ? Tragédie familiale ? Que s’est-il passé la veille sur ce site historique ? D’autant plus qu’il traîne sur la Gardiole une faune plus que dangereuse pour des jeunes filles. Il n’y a pas un seul chemin tranquille qui ne soit occupé par des prostituées. Le commandant pense aux proxénètes, malins comme des singes sur lesquels la brigade des mœurs n’arrive pas à mettre la main, mais aussi aux clients. Alors, les gamines sont d’autant plus en danger.

- Je vous laisse la direction des recherches, dit-il au major. J’ai besoin de tout ce petit monde à la gendarmerie. Me semble pas claire cette histoire.

La nuée de journalistes voletant autour de l’abbaye se déplace vers le petit groupe.

- Commandant ? Un commentaire ? Vous les mettez en garde à vue ? Que se passe-t-il ? Vous avez des nouvelles de l’enfant ?

- Rien à déclarer, dit le commandant Estève. Vous aurez des informations par ma hiérarchie.

- Où allons-nous ? demande Georges Vallon. Que savez-vous de nos enfants ?

- Vous le saurez en temps opportun.

- Je veux ma fille ! se met à hurler Claudine Libat tandis qu’une femme gendarme tente de la faire rentrer dans la voiture.

- Nous avons besoin de vous interroger.

Claudine ne voit plus rien que cette main de femme qui la pousse dans une voiture pour l’éloigner de son enfant. Elle se jette sur elle, la mord jusqu’au sang et s’enfuit.

- Ne tirez pas ! crie le commandant. Elle n’ira pas bien loin.

Morgane a l’impression de jouer dans un mauvais film. Un film dont elle n’a pas choisi le scénario. Profitant d’un instant d’inattention de la femme gendarme chargée de la prendre sous son aile, elle se met à courir pour rejoindre sa mère. Les flashs crépitent de toutes parts. 

- Ne tirez pas, ne tirez pas, vocifère le commandant. Les chiens les retrouveront. Conduisez les autres à la gendarmerie. Poursuivez les recherches. Il faut retrouver ces enfants aujourd’hui même. Merde alors ! Ce n’est pas bien grand ici.

- Je vous l’avais bien dit qu’il pouvait y avoir des cavités de partout. Les collines ont été habitées pendant des siècles et ont même servi d’abris aux bergers. La végétation a tout recouvert. C’est complètement inextricable.

- Vous êtes encore là, l’archéologue ? Je vous avais dit de ne plus venir traîner par ici.

- Ici, c’est chez moi. Cela fait plus de quarante ans que je fouille, ce n’est pas un flic qui va m’empêcher de faire mon boulot. Vous êtes en train de massacrer le travail de centaines de bénévoles. Vous avez piétiné le jardin, renversé des murs, cela ne vous suffit pas ? Vous n’avez pas le droit.

 - Pas le droit ? Allez, hop ! Avec les autres. Mise en garde à vue pour tout le monde. J’ignore ce qui s’est passé ici, mais je le saurai.

Puis il rajoute à l’intention de ses collaborateurs :

- Ratissez-moi tout le périmètre d’ici à Frontignan, Vic la Gardiole, Gigean, le plus largement possible. Arrêtez toute personne qui se promène sur la Gardiole. Ils peuvent avoir eu des soutiens extérieurs. Quatre enfants disparus, nous allons avoir droit à une panique générale. 

 

C’est alors que la pluie se met à tomber à grosses gouttes, comme si le ciel ouvrait ses vannes pour leur jouer un mauvais tour. Les chiens, désemparés, reniflent l’air sans comprendre, plus enclins à se mettre à l’abri qu’à rechercher des personnes disparues. Il aurait fallu des objets ayant appartenu aux enfants, et même en leur possession que pourraient faire les animaux privés d’odorat sous la pluie ? Des nuages noirs montent du Ponant et se zèbrent d’éclairs ; le bruit du tonnerre domine celui des hommes. L’hélicoptère est contraint de rentrer à sa base. Une demi-heure plus tard, l’orage crève et déverse des trombes d’eau sur l’abbaye. Au loin, au-dessus de la mer, un mince filet de ciel lumineux nargue les hommes.

 

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