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Ecrivaine occitane, semeuse de graines de folie. Etre écrivain, c'est combattre, c'est dire, dénoncer, tous les jours, à chaque instant, jusqu'au dernier souffle. C'est aussi écrire pour vous faire évader. Quitter les sentiers battus et partir vers d'autres horizons.

Les enquêtes de Fabrice Nabet :LE SANG DE LA MISERICORDE

 


Le premier roman d'une série qui s'est annoncée  fructueuse : les enquêtes de Fabrice Nabet. 

 

Un joli petit coin pour pêcher, un matin d’été au bord du canal..UN POLICIER QUI SE PASSE A FRONTIGNAN pendant le roman noir...

Un joli coin pour mourir aussi…

Qui peut avoir intérêt à tuer le papé?

A Frontignan, le festival du roman Noir, comme chaque année, attire les foules. Nikolaï Pavalovla, l’écrivain Russe le plus réputé de sa génération, fait partie des invités avec son roman « Le temps des assassins », ainsi que Jérôme Laval le plus jeune écrivain de France et bien d’autres. Tous les ingrédients sont réunis pour que la fête soit réussie.

Mais un papé de la ville est assassiné au bord du canal et plus rien n’est comme avant.

Sabine, jeune stagiaire à la mairie, est inconsolable et néglige ses fonctions. Les papés de la ville sont sur le pied de guerre.

Le lieutenant Nabet enquête.

Attention lieutenant ! Terrain glissant...

CHAPITRE I

Natacha Pavalovla fit rouler son fauteuil jusqu’à la fenêtre. La buée sur les vitres avait du mal à se dissiper. Dehors, le soleil du mois de juillet, encore timide, tentait de chasser l’humidité. Il avait plu toute la nuit. Une petite pluie fine, crasseuse, inondait la ville depuis trois jours. Contrainte de rester enfermée dans cet appartement, piètre souvenir des fastes d’antan, où l’odeur de moisi suintant des murs se mélangeait à celle des poubelles, Natacha ressassait son amertume. Il faisait froid. Elle regarda ses mains… Tordues, cagneuses, comme celles d’une sorcière. Tomber si bas, et si peu de recours. Si peu d’espoir aussi… Nikolaï viendrait-il avant de partir ? C’était peu probable. La dernière fois, elle l’avait trop harcelé. Ses mains… Quelle déchéance. Plus possible de jouer du piano avec ces mains-là ! Le piano qui avait été toute sa vie. Le piano, les bruits de bottes, les sirènes d’alarme. Dans sa tête, tout se mélangeait : valses de Vienne, Chopin, Wagner, et la musique pour oublier les hurlements dans la rue, les cris de haine et de douleur. Oublier. Ne plus les entendre. A présent, c’était Saint-Pétersbourg, un soir de 2004. Mais dans son souvenir valsait un autre soir à Leningrad. Leningrad où elle n’était pas, ni ce soir-là, ni les autres… Dans sa tête, se disputaient les noms successifs de la ville de ses ancêtres[1] et lui mangeaient la raison.

Dehors, le soleil illuminait enfin Saint-Pétersbourg. Plus de barrages antichars dans les rues, plus de tranchées-refuges. Depuis si longtemps… Et pourtant, toujours ce bruit de bottes. Plus fort que la musique. Toujours cette angoisse de la faim et du froid qui l’avait poussée à agir comme elle l’avait fait. Oui, la peur. Trop pour pouvoir résister. Qui pouvait comprendre l’horreur qu’elle avait vécue ?

Tout s’emmêlait dans son esprit. Leningrad, Berlin. Wagner, Chopin, les bruits de bottes et les talons aiguilles sur le carrelage des salons.

Nikolaï ne viendra pas.

- Arrêtez ce bruit ! hurla Natacha. Je vous en prie.

Seul le coup de canon donnant le signal de Midi lui répondit.

Au pied des immeubles aux façades délabrées, la Neva coulait immuable, indifférente aux morsures du temps.

 

 

 

A l’aéroport de Moscou, Nikolaï attendait l’heure du vol Moscou-Paris. Il n’était pas allé voir Natacha avant de partir et un vague sentiment de culpabilité venait ternir son plaisir de revoir la France. Il aurait dû y aller, baiser une fois encore son front fripé, supporter ses jérémiades, l’écouter ressasser son passé. Mais il ne voulait plus l’entendre. Il avait accompli ce qu’il estimait être son devoir filial et le terminerait. Point final. Natacha ne pourrait plus lui empoisonner la vie. En était-il certain ? Le poison, elle le lui avait versé dans sa vie en le mettant au monde. La vie et le poison dans ses langes.

« Bonjour le cadeau ! » dit Nikolaï tout haut, en français, sans se préoccuper des coups d’œil étonnés autour de lui. Certains le connaissaient de vue et ne s’en formalisèrent pas. Il avait fait la Une des journaux quelques semaines plus tôt pour son nouveau roman policier « Le temps des assassins ». Beaucoup l’avaient vu à la télévision. Leur indulgence lui était acquise. C’était un artiste. Pouvait-on savoir ce qui se passait dans la tête de ces gens-là ? Peut-être un nouveau roman en préparation. Certains diront à leurs proches « j’ai pris l’avion avec Nikolaï Pavalovla, il est en train d’écrire un autre livre ».

Nikolaï écarta le souvenir de sa mère pour se pencher sur ceux plus doux de Paris. Paris cinq ans auparavant… La tour Eiffel, Notre Dame, le Louvre, la descente de la Seine en nocturne avec Elisabeth… Elisabeth. Qu’était-elle devenue ? Il l’avait quittée précipitamment aux premières lueurs du jour, sans explication, sans adieux. Il ne l’avait jamais rappelée, ne lui avait jamais donné d’éclaircissement sur sa conduite. A quoi bon ? Le haut-parleur annonça « Les passagers pour Paris sont priés de se rendre en salle d’embarquement ».

L’avion amorça son départ et le ciel gris de Moscou disparut. Au-dessus des nuages il faisait beau. Nikolaï songea à Paris. Il n’y resterait pas. Terminé Paris. Disparue Elisabeth. Il fallait effacer les souvenirs, gommer le passé. Oublier Paris. Une nuit à l’hôtel, ensuite encore l’avion. Pour le sud de la France, cette fois-ci. Pas la Côte d’Azur, il y était déjà allé plusieurs fois avec Natacha pour ses concerts. Il se souvenait, étant enfant, des chambres impersonnelles, des hôtels de luxes avec majordomes condescendants et portiers en livrées, des grosses voitures silencieuses aux sièges invraisemblables qui semblaient l’avaler à chaque fois, énormes gueules de cuir froid, grand ouvertes sur un petit garçon inquiet. Une enfance feutrée, ennuyeuse, une adolescence gommée dans le sillage d’une mère castratrice. Castratrice, mais célèbre. Les palaces de Londres et le retour à Saint-Pétersbourg à la fin du régime communiste… Non, surtout pas la côte d’Azur. Le sud de la France dans une petite ville parfaitement inconnue, Frontignan, dans l’Hérault. Il avait été invité pour un festival de roman noir. Ou plutôt, il s’était invité à ce festival, pour le plus grand bonheur de ses organisateurs. Lui, le grand Nikolaï Pavalovla, s’invitant lui-même à leur festival ! Une aubaine pour une association de Province, n’est-ce pas ? Nikolaï, toujours imbu de sa personne, se délectait de cette gloire en souriant avec fatuité. Il étendit ses longues jambes devant lui sous le fauteuil vide, se gratta le menton, tic qui indiquait chez lui une parfaite satisfaction, et bascula ses longs cheveux blancs en arrière. Il pouvait encore dormir tranquille.

L’avion amorça sa descente sur Paris. Le soleil brillait sur la capitale de la France.

 

***

 

A SUIVRE SUR LE LIVRE

 

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