Bernadette Boissié-Dubus. Semeuse de graines de folie.
UN MUR DE TROP
1ere partie : le pouvoir des livres
2eme partie : ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin
Quand une phrase ténébreuse, alambiquée vous donne le vertige, souvenez-vous que ce qui donne le vertige c'est le v
3050 après Jésus Christ. Il y a bien longtemps… La Basse Epoque
Assis devant son bureau vide, le vieil homme semblait rêver. Son visage ridé était livide, du teint blanchâtre de celui qui n’a pas vu le soleil depuis longtemps. Sous ses doigts, rien que le contact de la matière inerte, une matière qui fut vivante il y avait bien des années, des siècles peut-être. C’était un vieux bureau en acajou, patiné, sur lequel il avait travaillé des années durant. Travail acharné, lutte sans merci pour sauvegarder la mémoire des hommes. Un vieux bureau, vide, lisse, sans un seul papier, un seul crayon. Il ouvrit un à un les tiroirs, aussi vides que des coquilles de moules mortes rejetées par la mer. Il promena un regard désespéré sur les étagères en acier remplies de boîtes du même alliage dont la capacité de résistance devait protéger des milliers de livres des injures du temps, traverser les siècles et même les millénaires. Tout le savoir du monde, en fait, caché dans le ventre de la terre. Le livre qu’il tenait entre les mains, aurait pu faire sourire celui qui n’était pas au courant de l’autodafé immonde qui se préparait. « L’origine du monde », un nom ronflant pour un livre qui avait pris des années d’existence à ses auteurs. Le professeur se souvenait des heures sans sommeil, des recherches fastidieuses et des rendez-vous clandestins avec des confrères – plutôt des frères courage — pour écrire un ouvrage destiné aux générations futures. Le professeur trouvait qu’il ressemblait un peu trop à la Bible, avec ses annotations pompeuses faisant référence à des hommes illustres et des évènements transformés en aventures fabuleuses. Un genre d’épopée, plus proche de l’Iliade et l’Odyssée d’Homère que du livre d’histoire. Mais les autres l’avaient voulu ainsi. « Il faut qu’il soit ludique, énigmatique, pour que les hommes du futur aient envie de rechercher des preuves de l’authenticité des légendes cachées en son sein », répétaient-ils en scandant les mots comme une musique. Il avait haussé ses épaules déjà voûtées, mais n’avait pas voulu les contrarier et s’en félicitait car la plupart d’entre eux étaient déjà morte, assassinés par les fous au pouvoir.
— Professeur, il est temps de partir.
Celui qui l’interpellait était un grand homme brun, maigre, pas rasé, avec d’immenses yeux noirs, durs et décidés, enfoncés dans leur orbite et auréolés de cernes bruns. Il n’avait pas trente ans mais secondait le professeur depuis la fin de ses études. Le professeur ne répondit pas. On l’arrachait à son rocher, son seul refuge comme s’il avait été une vulgaire arapède[1].
— Monsieur, il faut partir. Je vous en prie, le temps presse.
Le vieil homme se tourna vers lui, ses yeux bleu délavé embués de larmes, et referma le tiroir sur le précieux livre.
— Je ne peux pas. Je ne peux pas les abandonner.
— Professeur, s’insurgea le jeune homme, je vous sortirai d’ici par la force s’il le faut. Dans vingt minutes l’entrée va exploser et vous serez enseveli vivant. Je ne vois pas en quoi ce sacrifice apporterait quelque chose de plus au monde.
— Qui se souviendra ? soupira le vieux professeur.
— Qui ? Peu importe. Nous avons fait notre devoir. Dépêchez-vous.
— Là où vous allez, ce n’est pas ma place.
— Ce n’est pas la mienne non plus, répondit amèrement le jeune homme. Mais nous n’avons pas le choix.
La voix du jeune assistant monta dans les aigus et dérailla submergée par l’angoisse.
— Nous n’avons pas le choix et vous le savez bien.
Venez, rajouta-t-il en lui tendant la main.
Le professeur Charbit se leva doucement comme si le poids du monde reposait sur ses maigres épaules. Il portait un pantalon et une chemise trop amples pour lui et des tennis défraîchis sans chaussettes. Il y avait longtemps que l’argent lui m
manquait pour en acheter. Et puis, il était trop vieux pour se battre afin de s’en procurer. Il demanda encore :
— Avons-nous tout répertorié ?
— Monsieur ! supplia l’assistant. Cela fait dix ans ! Oui, nous avons tout répertorié. En tous cas l’essentiel.
— Tout est essentiel, murmura le professeur pour lui-même. Mais pour qui l’avons-nous fait ? Pour qui ? Pour quoi ?
Il n’obtint aucune réponse et suivit son assistant en traînant les pieds.
Derrière eux, de lourdes portes se refermèrent comme celles d’un coffre-fort de banque. Le professeur les verrouilla et mit les deux clés dans sa poche. Un quart d’heure plus tard, ils étaient dehors. Le soleil de l’hiver arrivait à peine à adoucir la température. La neige faisait un tapis blanc recouvrant la maigre végétation agonisante. Cinq minutes plus tard, une gigantesque explosion ébranlait la montagne faisant fuir des centaines d’oiseaux.
— Montez professeur, dit l’assistant en ouvrant les portes de l’hélicoptère. Nous partons.
Ils n’étaient que deux à bord, deux scientifiques rescapés de l’holocauste, les derniers à s’enfuir. Mission secrète s’il en était une, menée à bien. L’assistant était fatigué.
— Vous savez vraiment piloter cet engin ? lui demanda le professeur.
— Et comment ! C’est une petite machine fiable, rapide et capable de monter à des hauteurs impressionnantes. Elle peut nous conduire au bout du monde... Enfin, elle peut si nous ne sommes pas interceptés en route…
— Que Dieu bénisse nos descendants, dit le professeur.
Le jeune homme secoua la tête. Dieu, quelle dérision. Comment pouvait-on croire encore en Dieu dans ce monde ?
L’hélicoptère s’éleva dans les airs, abandonnant derrière lui la mémoire de l’humanité, avec les Pyrénées en gardiens fidèles.
CHAPITRE I
"La poésie de la terre ne meurt jamais."
John Keats
An 6000 après Jésus Christ. Le Grand Pays
1
— Mesdames et messieurs, vous n’imaginez pas les horreurs vécues par nos ancêtres...
Valentine s’épongea le front. Trois mille paires d’yeux la regardaient et son angoisse tournait à l’obsession. Ils étaient tous rivés à ses lèvres, terrorisés, étonnés ou sceptiques. Un projecteur trop puissant braqué sur son visage y fit perler, juste en dessous de son nez, trois gouttelettes salées qui dégoulinèrent sur ses lèvres. Si au moins elle n’avait pas eu la mauvaise idée de se maquiller ! Mais voilà, pour sa première intervention en public, elle voulait faire bonne impression. C’était réussi !
— Pourvu que personne ne remarque que j’ai trop chaud et surtout un trac fou... se dit la jeune femme avec inquiétude.
L’amphithéâtre de Masopa, capitale du Grand Pays, était plein à craquer. Des scientifiques de la totalité de la nation étaient venus pour entendre le compte-rendu de ses prétendues découvertes. Il y avait les membres de la délégation des habitants de la région Ouest, noirs comme une nuit sans lune, qui souriaient de toute la blancheur de leurs dents immaculées. Ces gens-là lui fichaient encore plus le trac avec leur rire franc que les autres dont les sarcasmes rentrés dans la gorge et le visage impassible en disaient long sur le crédit qu’ils accordaient à ses recherches. Les receveurs d’informations étaient là aussi, toujours présents, prêts à l’agresser à la moindre anicroche. Ils bénéficiaient de tous les droits et cette omnipotence l’inquiétait. Quant aux étudiants, pour la plupart ses propres élèves, ils lui vouaient une admiration sans borne qu’elle estimait être loin de mériter et qui lui paraissait malsaine. Elle aurait voulu s’en aller, n’avoir jamais été historienne, n’avoir jamais accepté cette conférence grotesque. Pour qui ? Pour quoi ? Quel en était l’intérêt ? Personne ne s’intéressait à l’histoire de toute façon. « Que faisait-elle ici ? » se demandait-elle à présent, face à cette foule hostile.
— Mesdames et messieurs, poursuivit sa voix comme si elle avait pris son autonomie par rapport à elle-même, c’était la fin de la Basse Epoque. Une époque pratiquement inconnue, je vous l’accorde. Peu d’informations sont parvenues jusqu'à nous. Très peu de vestiges subsistent, vous savez lesquels, il n’y a pas de quoi pavoiser. C’était le début du troisième millénaire et la seule certitude que nous ayons, c’est que la planète était devenue un immense dépotoir où les hommes du monde entier vidaient leurs déchets...
Elle marqua un temps d’arrêt pour savourer leur trouble. Des rires fusèrent. Quelqu’un siffla au fond à droite. Elle décida de ne pas se laisser intimider.
— Oui, oui, bien sûr... Une grande poubelle à l’air libre. Les microbes y pullulaient dans les moindres recoins des logements. La nourriture y était infectée au plus haut point, l’eau polluée, les hommes y mouraient de maladies, mangeaient n’importe quoi. J’ai découvert une étrange légende au sujet de leurs denrées alimentaires... Quelques poignées d’humains se seraient battues pour garder leur « fromage de chèvre ». Il semblerait, d’après certaines légendes, que le fromage de chèvre était une sorte de nourriture à base de lait d’un animal, la chèvre, qui faisait fureur quelque part au nord de la Méditerranée… et ici, chez nous, au sud. Mesdames et Messieurs, à la Basse Epoque, les hommes se nourrissaient de sous-produits d’animaux, mangeaient même des animaux...
Un brouhaha suivit ses scandaleuses déclarations. Quelques excités se mirent à hurler.
— On se moque de nous, c’est dégoûtant !
— Ton ancêtre peut-être mais pas le mien ! Cannibale ! Mais pour qui nous prend-on ?
Les receveurs d’informations s’en donnaient à cœur joie. Les confrères de Valentine haussèrent les épaules. Elle avait toujours été l’enfant terrible de la famille. Il fallait des preuves. Avait-elle des preuves ? Non, des preuves, elle n’en avait pas. De vieux objets bizarres appelés autrefois « des manuscrits » ne pouvaient pas être considérés comme des preuves. Ces objets-là, pour le commun des mortels, étaient bons à mettre à la destruction, ni plus ni moins. Allez savoir ce que véhiculaient comme saletés des objets pareils ? Heureusement pour elle, le commun des mortels ne savait pas qu’elle en avait en sa possession et n’était pas au courant de la vraie nature de ses recherches. Moins encore, bien entendu, de ses intrusions dans la bibliothèque centrale où il était interdit de fouiller.
— Tu veux prétendre aussi qu’ils croyaient vraiment que l’homme descendait du singe ? Que ce n’était pas une légende ? l’interpella une voix goguenarde.
On rit de bon cœur. Tout de même, n’exagérons pas. Et bien si, justement, elle allait le leur dire ! Mais elle perdit contenance. C’était la première fois qu’elle parlait en public. Elle, elle était du genre solitaire, peu bavarde, toujours perdue dans ses pensées. Pour dire quoi ? Elle avait l’impression que tout avait été dit. Seule l’histoire avec un grand « H » la passionnait. Surtout la Basse Epoque, à la fin du deuxième millénaire.
Suite sur le roman
[1] Coquillage en forme de chapeau chinois qui s’accroche au rocher
An six mille après Jésus Christ. Un monde où il n'y a plus d'eau et un mur immense séparant la terre en deux. Interdiction formelle de passer ce mur protégé par des gardiens impitoyables. Dans cette civilisation frivole, l'écriture a été bannie depuis des générations et plus aucun passé n'existe dans la mémoire collective. Des scientifiques en quête de vérité sont prêts à tout pour savoir ce qui se passe derrière ce mur. Des rencontres surprenantes, des découvertes sulfureuses par des archéologues du futur. un cocktail explosif, une aventure époustouflante, un voyage initiatique. Un roman qui tient en haleine jusqu'au dénouement. Comment ne pas répéter les erreurs du passé si l'homme ne connaît pas sa propre histoire ? Ils ne voulaient pas d'un mur, elles voulaient être libres, l'une voulait retrouver les livres, l'autre sauver son peuple. Ils se sont rencontrés, ils ont osé. Archéologues du futur, historiens ou simples citoyens indignés, en l'an 6000 après Jésus-Christ ils ont décidé de désobéir... Ils l'ont décidé, ils l'ont fait. Les hommes se sont faits nomades pour retrouver leurs racines et leur passé... Mais dans quelles conditions ? Long sera chemin, dure sera la quête, mais...............................................
Le pouvoir des livres
Sur les bords du Nil, il ne reste plus rien, ou pas grand chose… Uns civilisation moribonde soumise au bon vouloir de ses chefs, et la terre meurt de soif sur un désert qui s’est installé partout. Seul un mur immense sépare la terre en deux. Que se passe-t-il de l’autre côté de ce mur ? Pourquoi les sept sages ont-ils interdit l’écriture à une époque que plus personne ne peut situer dans les temps ? Comment trouver de l’eau ? Incapables d’en fabriquer, les scientifiques maintiennent la population du Grand Pays dans un bonheur béat et frivole. C’est la civilisation du gadget, de l’insouciance et du rire.
Valentine, jeune chercheuse de la société des temps anciens est persuadée que la redécouverte des écritures est la seule solution pour épargner aux hommes l’inévitable catastrophe qui les menace. Accompagnée de trois autres scientifiques et d’un receveur d’informations, elle part en expédition pour tenter de passer le mur…
Poursuivis par les Nettoyeurs, ils vont rencontrer Garance, jeune chef de tribu des gardiens du mur, et poursuivre avec elle leur dangereuse quête.
Un mur de trop est le premier tome de cette épopée initiatique où les héros s’interrogent sur le sort de l’humanité, l’importance de la transmission de l’Histoire aux générations futures et de la place de l’écriture dans la vie des hommes...
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin
Tandis que nos héros poursuivent leur quête, Masopa est plongée dans l’effroi. Le laboratoire de Valentine est incendié par ses étudiants pour que ses précieux manuscrits ne tombent pas aux mains des sages, le Grand-Appariteur est enlevé, la population persécutée. Les trois étudiants, Thor, Djamel et Hugo, se sauvent pour essayer de traverser le mur côté ouest. Hugo, accompagné de Loreline, l’amie de Thor, et son bébé, arrive à rejoindre le continent.
Les évènements se bousculent. Les sages, acculés, vont entreprendre une répression sans précédent dans l’historie du Grand-Pays. Les nettoyeurs sévissent.
De l’autre côté du mur, nos héros vont se rejoindre et commencer des recherches pour retrouver la bibliothèque dont les clés de Garance et Loreline ouvrent les portes. Manon, historienne de la bibliothèque de Cronos, va se joindre à elles, ainsi que Charlotte, la fille du passeur, et Julie kidnappée à l’âge de quatre ans. Vont-elles, grâce à l’écriture, trouver les réponses aux énigmes laissées par les scientifiques du passé?
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